Une nouvelle classe de neurones rétiniens vient d’être identifiée chez les mammifères. Ces cellules, appelées Campana, relayeraient les signaux lumineux depuis les photorécepteurs jusqu’aux cellules ganglionnaires. Leur durée d’activation leur confèrerait probablement un rôle dans le process de mémorisation visuelle et d’apprentissage !
L’œil est un capteur ultraperfectionné qui permet de se nourrir, de se protéger et de s’orienter dans l’espace. Fruit d’une longue série d’innovations génétiques soumises aux rudes épreuves de la sélection naturelle, l’organe de la vue s’est adapté aux modes de vie de chacune des espèces. Dans le monde animal, notamment, pas moins d’une quarantaine de types de paires d’yeux scrute le monde.
Chaque catégorie révèle des spécificités: des plus gros, gagnés à la loterie de l’évolution par le calmar géant au caméléon, équipé d’yeux télescope, en passant par les « boules à facettes » des insectes. Ces fameux capteurs sont tous reliés au système nerveux central via des cellules nerveuses qui transmettent, en chaîne, l’information visuelle jusqu’au nerf optique. Le neuroscientifique espagnol, Cajal, a commencé l’identification des différentes classes à la fin du XIXesiècle. En cent ans, nous pensions en avoir fait le tour. Mais c’était sans compter sur la découverte de chercheurs américains de l’Université de l’Utah.
Schéma des différentes classes de cellules rétiniennes organisées en couches. © Franck Maurinot (Thèse « Étude du lignage des cellules progénitrices rétiniennes chez le poulet : origine des classes et types neuronaux)
La rétine, un modèle pour étudier le système nerveux central
« Le système nerveux central (SNC) des vertébrés est un des principaux objets d’étude de la biologie moderne. Or la rétine, qui fait partie du SNC, offre l’avantage de fonctionner in vitro avec son stimulus physiologique. L’expérimentation est plus simple, car nous pouvons en étudier le fonctionnement tout en contrôlant les paramètres extérieurs. À ce titre, la rétine représente un système de modèle unique pour comprendre le fonctionnement des circuits neuronaux complexes. », explique Serge Picaud, Directeur de l’Institut de la vision.
Jusqu’à maintenant, six classes de neurones rétiniens avaient été identifiées : le photorécepteur de type cône, sensible à la lumière rouge, verte ou bleu (Vision diurne), le photorécepteur de type bâtonnet, sensible à la quantité de lumière (vision nocturne), la cellule bipolaire, la cellule horizontale, la cellule amacrine et la cellule ganglionnaire. Une récente étude, publiée dans PNAS, vient de mettre à jour cette classification en rajoutant un nouveau type d’interneurone, la cellule Campana.
COMMENT FONCTIONNE
UN NEURONE ?
Un cerveau de mammifère contient entre 100 millions et 100 milliards de neurones, en fonction de l’espèce. Quel est leur rôle ? Transmettre de l’information à d’autres cellules nerveuses, musculaires ou glandulaires. Les connexions se font et se défont au cours des apprentissages. Les chercheurs appellent ce phénomène la plasticité cérébrale. Et un neurone, comment ça marche ? Il reçoit l’information via ses dendrites qui sont connectées aux neurones en amont de la chaîne d’information. Le signal est ensuite transformé en impulsions électriques qui courent le long de l’axone. Au bout de la terminaison axonale, le courant libère des neurotransmetteurs, comme le glutamate ou la dopamine, dans l’espace de connexion entre deux neurones (espace synaptique). Ces molécules se fixent alors sur des récepteurs membranaires du neurone aval qui déclenchent ensuite une cascade de réactions chimiques menant à l’excitation (ou l’inhibition) du neurone aval. Les circuits d’informations, même s’ils peuvent être modulés, sont toujours à sens unique.
Une 7e catégorie de neurones rétiniens mise à jour
Ce nouvel interneurone, qui ressemble à une cloche, sert d’intermédiaire dans la chaîne de communication de l’information visuelle. « C’est passionnant, car la génomique a révélé l’invisible qui a échappé à Cajal il y a 100 ans. Nous découvrons une nouvelle cellule à la morphologie hybride entre une cellule bipolaire et une cellule amacrine. Son lien aux bâtonnets et aux cônes la rend encore plus énigmatique dans sa fonction. De telles connexions doubles avaient déjà été rapportées, mais elles semblaient anecdotiques. Cette nouvelle observation renforce l’existence de ces cellules intermédiaires qui font lien entre les bâtonnets et les cônes. Étonnamment, cette cellule peut libérer aussi bien un neuromédiateur excitateur, le glutamate, qu’un neuromédiateur inhibiteur, la glycine. Ce profil double est relativement rare et suggère une fonction complexe dans le transfert de l’information. Ce travail illustre la puissance des nouvelles approches génomiques pour l’étude des circuits neuronaux. », résume Serge Picaud.
Cellule de Campana isolée (en vert) dans la rétine de la souris. La cellule s’étend sur plusieurs couches de la rétine, du photorécepteur aux cellules ganglionnaires de la rétine. ©Ning Tian & coll
Une cellule dont la fonction réserve des surprises
La « petite dernière » présente une autre particularité fonctionnelle. En stimulant des cellules Campana avec un flash de lumière de 10 millisecondes, les chercheurs ont eu la surprise de voir que la cellule reste activée pendant 30 secondes. Cette durée d’activation est assez inhabituelle par sa longueur. Les auteurs de la publication en déduisent que cette classe de cellules rétiniennes non conventionnelles devrait certainement jouer un rôle dans la mémoire de travail, la mémoire dite à court terme.
Enquête à suivre…